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L’armée des Flandres 1567 - 1659

Image de la puissance et du déclin de l’Espagne

(Article publié dans « l’Art de la guerre » n°5)

 

« Restait cette redoutable infanterie de l’armée d’Espagne, dont les gros bataillons serrés, semblables à autant de tours, mais à des tours qui sauraient réparer leurs brèches, demeuraient inébranlables au milieu de tout le reste en déroute, et lançaient des feux de toutes parts. »

Bossuet, éloge funèbre du Grand Condé.

       

Tout au long du Siècle d’or espagnol, aux grandes heures de la monarchie Catholique et de l’excellence de ses tercios, l’Espagne entretint aux Pays Bas une importante « Armée des Flandres ». Elle fut pendant un siècle la garante de l’autorité et de l’influence des Habsbourg dans leurs domaines du Nord-Ouest de l’Europe.

 

Bien que dangereusement dépendant de lignes de communications aléatoires, « l’ejercito de Flandes », véritable corps expéditionnaire permanent de la monarchie madrilène, fut  un remarquable outil de guerre qui défia pendant plus d’un siècle avec un inégal bonheur les appétits du voisin français tout autant que les velléités d’indépendance des  jeunes Provinces Unies. Cette importante présence armée de l’Espagne dans les Flandres, symbole même du rayonnement de la monarchie des Habsbourg et de sa dimension multinationale resta une menace pour le cœur du royaume de France et participa un temps à l’entretien à Madrid du rêve d’empire universel nourri par Charles Quint. Mais elle fut aussi un des révélateurs des faiblesses de l’Espagne et des limites de son influence sur l’occident. Le renoncement définitif de Madrid aux riches Pays Bas, fut long et douloureux. Il obligea l’Espagne à faire le deuil de son statut de puissance dominante.

 

L’héritage des Habsbourg d’Espagne, une puissance dispersée

 

      Lorsque Charles Quint abdique en 1556, l’héritage Habsbourg est scindé entre les branches autrichiennes et ibériques. Jusqu’en 1700, les « Austrias[1] » président aux destinées d’une monarchie centrée sur la péninsule ibérique. Si ce partage marque la fin de l’union politique et du projet d’empire universel du plus puissant souverain de son époque, les liens dynastiques étroits entre Vienne et Madrid et leur solidarité de champions du catholicisme demeurent une constante durant tout le siècle d’Or espagnol. L’endogamie pratiquée par les deux branches Habsbourg reste un élément constitutif de la géopolitique européenne jusqu’au catastrophique règne de Charles II, fossoyeur malheureux d’une suprématie ibérique depuis longtemps perdue.

      Mais en 1556, Philippe II hérite de la plus puissante monarchie d’Europe, déjà championne de la foi catholique et dont la principale faiblesse réside en un morcellement politique et géographique faisant du roi le seul lien réellement solide entre ses états.

En effet, alors que Charles Quint, monarque itinérant entre tous, n’avait jamais fixé sa cour de manière définitive, son fils fait le choix de la Castille, véritable cœur de ses états, comme centre politique de la monarchie. Il y fonde en 1561 sa capitale, Madrid, et son palais – monastère, l’Escorial, au cœur même de la péninsule ibérique. La même année, les garnisons espagnoles quittent des Pays Bas largement autonomes et gouvernés au nom du roi par Marguerite de Parme. Très loin du centre politique de la monarchie, la bourgeoisie et la noblesse de ces provinces se révèlent de plus en plus ouvertes aux tentations nationalistes et séparatistes que l’éclatement religieux de l’Europe et l’intransigeance de Philippe II en matière de foi rendent bientôt irrésistibles. La dispersion géographique et « culturelle » de l’héritage « espagnol » se révèle être ainsi la première grande faiblesse de la monarchie madrilène qui fait pourtant à cette époque figure de véritable superpuissance européenne.

Ainsi, au long et stérile affrontement de Charles Quint et de François Ier tant en Europe du Nord qu’en Italie, succèdent dès la seconde moitié du XVIe siècle des agitations séparatistes menaçant l’intégrité même de l’agglomérat hétérogène composant les états du Roi Catholique. Dans ce cadre troublé, l’armée des Flandres devient rapidement un outil indispensable à l’autorité des rois d’Espagne. Elle doit ainsi intervenir parfois simultanément au nord, contre les provinces révoltées et au sud vers le royaume de France où Alexandre Farnèse oblige par exemple Henri IV à lever le siège de Paris en 1590. De la même façon, l’armée des Flandres doit périodiquement soutenir les efforts des troupes impériales dans leur interminable lutte contre les princes protestants. Ainsi Spinola en 1620 doit intervenir dans le Palatinat avec 25000 hommes.

     

L’origine de l’armée des Flandres

 

Les Pays Bas, jaloux de la richesse de leur commerce, de leur autonomie et de leur spécificité, avaient dû contribuer pour des sommes considérables aux luttes de Charles Quint contre son rival français. La révolte qui couvait éclate à partir de 1566. La réaction de Philippe II est immédiate. Le duc d’Albe est dépêché à Bruxelles à la tête d’une armée afin d’assurer la pacification.

Cette armée est à l’origine organisée autour des trois tercios de Lombardie, de Sicile et de Naples, qui s’installent à Liège, Bruxelles et Gand. Leur fidélité à Madrid, moyennant le paiement régulier de la solde, question problématique et récurrente, est infiniment plus sûre que celles des troupes recrutées localement.

C’est en effet une réalité militaire mal connue de cette époque. L’emploi de troupes éloignées de leurs foyers et en pays étranger[2], garantissant cohésion et esprit de corps, permet de limiter considérablement les velléités de désertion, véritable plaie des armées « pré-nationales ». A contre courant de l’idée moderne considérant qu’une armée assure mieux la défense de ses propres foyers, la qualité des corps de troupes de cette époque semble augmenter à mesure de l’éloignement géographique de leur région de recrutement. Ainsi, les troupes wallonnes ou bourguignonnes, souvent considérées comme médiocres dans les Flandres, sont particulièrement recherchées en Italie ou en Espagne. De même les tercios espagnols, particulièrement soudés pour l’époque, gagnent leur réputation d’invincibilité principalement en Flandre, en Italie ou en Allemagne. Cette réalité est à l’origine de mouvements complexes de troupes et d’échanges de corps entre les provinces, compliquant encore les déjà considérables problèmes de communication et de logistique que doivent affronter les autorités centrales.

 

La principale armée d’Espagne, un corps expéditionnaire permanent

 

  Stationné en permanence aux Pays Bas dès 1567, l’ejercito de Flandes devient avant tout pour Madrid un outil répressif contre le soulèvement des « gueux » protestants. Alors que Madrid doit également entretenir des troupes à la fois en Italie ou au cœur de la péninsule ibérique, cette armée reste la plus importante de la monarchie.

Mais cet outil se révèle rapidement extrêmement coûteux. En effet, l’inflation des effectifs militaires européens est tout au long des XVIe et XVIIe siècle particulièrement spectaculaire (cf. tableau). Corollaire obligatoire de cet état de fait, le coût de la guerre augmente dans des proportions jamais atteintes jusqu’alors. L’afflux de l’argent des Amériques dans les caisses du roi d’Espagne, assurant dans un premier temps la suprématie de la monarchie catholique, devient rapidement une arme à double tranchant en faisant exploser l’inflation. De fait, malgré sa puissance, la monarchie espagnole qui doit entretenir d’importantes armées dans ses possessions dispersées fait finalement face à des problèmes financiers endémiques inextricables menant à des banqueroutes répétées. La rupture plus ou moins régulière de  paiement de la part de Madrid, se double dans le cas de l’armée des Flandres par des problèmes de distance et de voies de communication majeurs, même pour les standards de cette époque. Ainsi en 1636, la prise de Corbie menace directement Paris et la famille royale. Mais, comme après la victoire de Saint Quentin en 1557, l’Espagne reste incapable, faute d’argent, d’exploiter sa victoire face à la jeune armée de Gaston d’Orléans.

 

Protéger les voies de communication, une nécessité vitale

 

En ce qui concerne les Pays Bas, la question du « camino español », la route d’Espagne, est au cœur des préoccupations de la monarchie. La nécessité d’opérer par mouvements périphériques en « rocade » autour du royaume de France est à l’origine d’une lutte d’influence permanente entre les deux rivaux, tant auprès des territoires d’Empire, en théorie subordonnés aux Habsbourg de Vienne, qu’auprès des états italiens, monnayant à l’occasion leur concours au prix le plus élevé. Si Madrid cherche en permanence à assurer la continuité de ses possessions encerclant le royaume des Lys, la France tente périodiquement quant à elle d’occuper des positions menaçant directement les communications militaires espagnoles. Trois voies assurent successivement les principales communications avec l’armée des Flandres (cf. carte):

- La route initialement empruntée par les contingents d’Italie ou de Castille, par la Savoie et la Franche-Comté est coupée au début du XVIIe siècle. En 1601, par le traité de Lyon, Henri IV obtient de la Savoie liée à l’Espagne le Bugey, la Bresse et le Valromey pour couper le « camino español » originel. Cette voie n’est plus alors empruntée qu’exceptionnellement (Cordoba en 1620 y fait transiter ses 8500 hommes).

- Dès lors,  les troupes espagnoles à destination de Bruxelles doivent contourner les cantons suisses protestants par le Tyrol. De même, le contrôle de l’Alsace et des trois évêchés de Lorraine, en terre d’Empire, reste pour les même raisons un objectif constant tant pour la France que pour l’Espagne. Là encore, cette voie de remplacement est perdue dès 1635 par l’occupation française, ne laissant aucune alternative que le recrutement direct dans les pays rhénans. Seule l’arrivée inopinée de renforts venus d’Allemagne (comme les tercios castillans de l’armée du Cardinal Infant, après sa victoire sur les Suédois à Nördlingen en 1634) permet de conserver le contrôle de la situation.

- A cette date seule la voie maritime reste ouverte. Mais après 1588 et le désastre de l’invincible armada, l’Espagne n’étant plus en mesure de contrôler l’Atlantique, la faible escadre des Flandres est parfaitement incapable de s’opposer à l’hostilité hollandaise, anglaise ou même simplement à celle des corsaires français de La Rochelle. En fonction des conditions diplomatiques, or et soldats empruntent irrégulièrement cette dernière artère nourricière. (20000 hommes entre 1635 et 1639).

 

Une situation précaire et fluctuante

 

Les principales conséquences de la fragilité et de la perte progressive des voies de communication de l’armée des Flandres sont sans conteste l’irrégularité de l’acheminement des renforts mais aussi et surtout des fonds nécessaires au recrutement, à l’entretien et au paiement des soldes. De plus les fonds envoyés par Madrid, souvent  insuffisants compte tenu de la situation financière de la monarchie et de la multiplicité des théâtres d’opérations, doivent être affectés prioritairement aux vivres plutôt qu’au recrutement et à l’achat de matériel. Au début du XVIIe siècle, un seul canon permet en effet l’entretien de 800 hommes pendant un mois. Malgré des effectifs souvent importants, l’armée des Flandres est ainsi contrainte de se contenter d’exercer des fonctions de garnison ou de mener des opérations brèves et de faible ampleur, sans capacité à faire entrer en campagne des effectifs importants et fiables. De plus, la menace latente exercée par les Provinces Unies immobilise de nombreuses garnisons statiques dans les principales places fortes telles Maastricht,  Anvers, Gand ou Bruxelles.

L’effectif total de l’armée des Flandres varie de 15 à 20000 hommes durant les rares périodes de paix générale (de 1609 à 1611 pour l’essentiel) jusqu’à 90000 hommes en temps de crise majeure (par exemple en 1574, en 1624 ou en 1640). En moyenne, ses registres comprennent de 50 à 60000 soldats. Mais les armées en campagne restent malgré tout, à l’instar des autres puissances de l’époque, relativement réduites. En 1643, à Rocroi, bien que disposant d’un effectif nominal de près de 80000 hommes, l’armée des Flandres n’en aligne que 20 à 25000 avec 18 canons face au duc d’Enghien. La part relative de la cavalerie est assez faible et ne dépasse pas 20%. Ses effectifs tombent parfois à moins de 1500 cavaliers (en 1572 ou 1609). Utilisant la tactique complexe de la Caracole de préférence à la charge, son efficacité est des plus aléatoires. Elle reste néanmoins aussi indispensable que coûteuse sur le champs de bataille.

 

Le Tercio, cœur de la puissance militaire espagnole

 

« Et eussiez dict que c’estoit des princes, tant ilz estoient rogues et marchoient arrogamment et de belle grâce…Je les vis alors passant par la Lorraine, et les y allay voir exprès en poste, tant pour leur renom qui en resonnoit partout et retentisoit partout… »

Mémoires de Brantôme

 

      Professionnels rompus au métier des armes, particulièrement disciplinés pour l’époque, fiers à l’extrême, telles sont les trois caractéristiques majeures des soldats composant les tercios espagnols. Tout soldat, recruté individuellement, doit prêter serment au roi et au capitaine-général de l’armée et est rigoureusement puni pour tout manquement à la discipline : Trente jours de prison au premier blasphème, les galères au troisième. La peine de mort est promise à « tout soldat  qui tuera femme, enfant, personne âgée ou invalide, même dans la chaleur de l’assaut ». Le pillage « non autorisé » est rigoureusement proscrit.

Malgré une discipline particulièrement sévère préfigurant déjà par certains aspects le « dressage » à la prussienne, les soldats des tercios jouissent de distinctions tant individuelles que collectives favorisant fierté et esprit de corps. Aucun uniforme standard n’existe encore au niveau de l’armée mais chaque capitaine chargé de recruter et d’organiser « sa » compagnie impose souvent le sien. Chaque Tercio entretient également ses propres codes. Les officiers ne peuvent lever la main sur un soldat sous peine de destitution. Ils ne s’adressent à leurs hommes que par un « señores soldados » (Messieurs les soldats), enviable par tous les hommes du rang de tous les siècles. De même, les arquebusiers les plus adroits perçoivent – ils une prime qui favorise l’émulation et l’entraînement. L’obligation de résider en « chambrée » alors que les casernes demeurent l’exception avant la fin du XVIIe siècle[3], fait également naître un esprit de camaraderie bien peu répandu dans les autres armées. On trouve également dans l’armée espagnole de nombreuses « associations » de soutien de soldats apportant aide aux blessés ou à leurs familles.

 

Au combat, les tercios forment des carrés d’infanterie compacts et cohérents, de la taille d’un bataillon, capable d’une remarquable efficacité dans les trois domaines fondamentaux de la bataille : la manœuvre, le feu et le choc. Avant le perfectionnement des armes à feu et l’invention de la baïonnette au début du XVIIIe siècle, ces deux dernières fonctions donnent lieu à deux types de fantassins distincts.

- L’organisation tactique assurant la souplesse dans la manœuvre est à sa création des plus modernes. L’infanterie du tercio « administratif » comprend un effectif théorique variant avec le temps, de dix à quinze compagnies de 200 à 300 hommes. Ces compagnies, unités tactiques fondamentales, sont dans l’armée espagnole parfaitement entraînées aux évolutions groupées.

- La puissance de choc, en attaque ou en défense, est assurée par les « piqueros » (piquiers). Ceux ci sont équipés d’une cuirasse (Corseletes) uniquement sur les lignes extérieures, les lignes internes s’en trouvant allégées (piqueros secos).

- Enfin, paramètre croissant dans l’art militaire, le feu est assuré par les arquebusiers (arme légère) et  les mousquetaires (arme lourde) qui encadrent et couvrent les piquiers. Leur rôle croît dans des proportions considérables, en particulier grâce à l’allégement du mousquet, qui allie de plus en plus à sa puissance de feu, maniabilité et une meilleure précision. Tout au long du XVIe siècle, celui-ci prend une place croissante à mesure de l’effacement de l’arquebuse de médiocre portée. Présents dans une proportion de l’ordre de un sur dix pendant les guerres d’Italie, les tireurs représentent 50 à 60% des effectifs au milieu du XVIIe siècle.

Cette efficacité dans l’organisation tactique, le professionnalisme des soldats et leur moral inégalable en font de très loin les meilleures troupes d’Europe. La réputation des tercios ne souffre jusqu’à Rocroi aucune ambiguïté.

 

Mais ces troupes espagnoles ou italiennes, solides et cohérentes, ne forment pas, loin s’en faut, la totalité des effectifs de l’armée des Flandres.

 

L’armée d’une monarchie multinationale

 

      Plus encore que les autres armées de cette période, l’armée des Flandres présente un caractère éminemment multinational. Si l’emploi de mercenaires suisses ou de lansquenets allemands est une constante dans les armées européennes au point qu’ils forment au XVIe siècle la majorité des troupes du roi de France, le système militaire espagnol, largement en avance jusqu’aux années 1620 – 1630, fait appel aux ressources diversifiées des états du roi catholique pour former ses armées autour de noyaux « nationaux » pour l’essentiel castillans.

      Ainsi l’épine dorsale de l’armée des Flandres réside t-elle sans conteste dans ses tercios castillans et ses contingents italiens. Si les premiers jouissent d’une réputation sans équivalent et de privilèges réels ou supposés propres aux hidalgos espagnols, les seconds recrutés à Naples ou en Lombardie sont à peine moins considérés. En période de licenciement massif de troupes comme au début de la trêve de Douze Ans avec la Hollande, Italiens et Espagnols  demeurent le noyau dur permanent de l’armée des Flandres.

      Cette élite assez peu nombreuse (4000 Italiens et 6 à 8000 Espagnols en moyenne) est complétée par divers contingents étrangers, en nombre variable en fonction des conditions stratégiques générales.

Les Britanniques, peu nombreux et méprisés car Protestants, sont néanmoins une ressource complémentaire appréciée en temps de « disette » de par leur proximité géographique. Recrutés seulement après 1588, on en dénombre 3900 en 1624. 4000 sont recrutés par contrat entre 1630 et 1640 mais les tensions anglo-espagnole et la guerre civile anglaise finissent par tarir cette faible source.

      Les Bourguignons, en fait Franc-Comtois, forment des auxiliaires diversement appréciés. Au nombre d’environ 4000 vers 1625, l’occupation française rend difficile ce recrutement.

Les Allemands, catholiques du Tyrol ou des pays Rhénans, sont considérés comme peu fiables mais leur proximité géographique et la facilité de leur acheminement vers les Pays Bas en font une ressource incontournable à mesure de l’isolement de l’armée des Flandres. Contingents mercenaires nombreux en temps de crise (plus de 20000 dans les années 1570 ou 1620), ils sont massivement licenciés en période de paix.

      Enfin, la ressource locale wallonne a pour fonction essentielle le gonflement des effectifs (plus de 35000 hommes en 1640). Elle est en effet la moins considérée sous ses propres cieux. Peu voire non payées dans le cas des levées de milice, promptes à la désertion, ces troupes servent d’abord de garnisons statiques et ont comme principal mérite pour le commandement de libérer les meilleurs contingents pour les armées de campagnes.

 

Les derniers feux de l’armée des Flandres

 

« …il eût encore volontiers sauvé la vie au brave comte de Fontaines ! mais il se trouva par terre parmi des milliers de morts dont l’Espagne sent encore la perte. Elle ne savait pas que le prince qui lui fit perdre tant de ses vieux régiments à la journée de Rocroi en devait achever les restes dans les plaines de Lens. »

Bossuet

 

      Connaissant successivement les victoires et les revers, l’armée des Flandres reste tout à la fois le pivot de la puissance militaire espagnole tout autant qu’une réelle menace pour les adversaires du roi Catholique jusqu’au milieu du XVIIe siècle. Bien qu’obligée de concéder à la Hollande une indépendance de fait lors de la trêve de 1609 et de composer avec une France en pleine ascension, l’Espagne reprend la lutte en  1621 et connaît encore un temps de réels mais éphémères succès. La prise de Breda par Spinola en 1625, immortalisée par Vélasquez, est sans lendemain. L’offensive des Hollandais qui reprennent Maastricht n’est arrêtée que grâce à l’arrivée fort à propos de l’armée victorieuse du Cardinal Infant en 1634. Les débuts de la guerre contre la France sont prometteurs mais faute de moyens Paris ne peut être prise. Argent et renforts n’arrivent qu’épisodiquement en suffisance et le recrutement local reste de moindre qualité.

      Le tournant des années 1640 amorce le réel déclin. La Catalogne se révolte. Le Portugal se déclare indépendant et bat régulièrement les troupes de Madrid dans une guerre frontalière au cœur même de la péninsule ibérique. Le Tercio perd sa suprématie à Rocroi, l’épouvantable guerre de Trente Ans dure au cœur du Saint Empire et malgré leurs qualités, ni le comte-duc d’Olivares, ni son successeur Don Luis de Haro ne peuvent apporter au roi Philippe IV l’étoffe politique de ses aïeux.

Malgré tout, le règlement de la guerre de Trente Ans de 1648, bien qu’humiliant pour Madrid, permet à un roi d’Espagne entêté de disputer une dernière fois à son rival français le statut de première monarchie européenne. Malgré les défaites espagnoles de Rocroi puis de Lens en 1648, la fronde paraît en effet rendre le royaume des Lys à nouveau vulnérable. Mazarin obligé bientôt d’abandonner la Catalogne révoltée à Espagne, les Pays Bas espagnols redeviennent rapidement le principal théâtre des hostilités. Le plus grand capitaine français, Louis II de Bourbon, prince de Condé, se révolte contre le roi et se tourne vers Madrid.  A la tête de l’armée des Flandres aux côtés de Don Juan José,  le vainqueur de Rocroi et de Lens cherche à marcher sur Paris. Mais malgré la présence de ces deux brillants hommes de guerre, la supériorité du Tercio n’existe décidément plus. Les restes de l’armée des Flandres sont battus par un Turenne fraîchement rallié au jeune Louis XIV à Arras, puis à nouveau écrasés à Dunkerque en 1658. Philippe IV, pressé par une situation interne catastrophique, est obligé d’admettre son échec.

 

Le crépuscule de la puissance espagnole

 

      L’armée des Flandres qui assure la domination de l’Espagne aux Pays Bas reste le bras armé de son influence tout autant que le symbole de sa vocation transnationale durant tout le siècle d’Or. Elle est dirigée successivement par certains des plus grands capitaines de leur temps tels le duc d’Albe, Alexandre Farnèse, Spinola ou Don Juan José. Les actions menées par ces chefs brillants suivent les changements profonds des équilibres européens qui s’opèrent entre le milieu du XVIe et le milieu du XVIIe siècle : la rupture de l’unité occidentale par l’affrontement sanglant entre Réforme et Contre Réforme, le déclin de la conception du monde universaliste des Habsbourg, les tentations nationalistes naissantes. De même l’émergence ou la renaissance de puissances rivales, Suède, Hollande, Angleterre, France surtout, ne peut être enrayée par une Espagne peu à peu ruinée par ses tensions internes et paradoxalement, par cet afflux d’argent des Amériques pourtant à l’origine de sa position dominante.

      Si le Tercio espagnol domine les champs de bataille jusqu’à la guerre de Trente Ans[4], de nouvelles conceptions tactiques et l’exploitation des points faibles des armées espagnoles, tel le différentiel qualitatif entre les contingents, permettent finalement de le vaincre. Rocroi marque ainsi pour l’histoire militaire une véritable étape. Tout anachronisme mis à part, cette bataille peut-être comparée à Essling (1809) ou Gettysburg (1863). Sans marquer en effet une défaite définitive, elle illustre la fin d’un ascendant moral et tactique. Bien qu’encore capable de lutter, l’Espagne y perd définitivement la réputation d’invincibilité de la meilleure infanterie d’Europe.

Lorsque que par le traité des Pyrénées, Madrid renonce définitivement à ses ambitions, au siècle d’Or espagnol du Tercio mais aussi de Cervantès, de Vélasquez de Lope de Véga et de Calderon, succède bientôt le Grand siècle français, celui de Louis XIV, tout autant porteur de nouvelles guerres. 

 

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[1] Ainsi est qualifiée en Espagne la dynastie des Habsbourg, illustration de la prédominance de leur origine autrichienne dans les consciences.

[2] Rappelons que l’unité monarchique de cette époque est bien loin de signifier unité nationale, tout particulièrement dans les états de la monarchie ibérique.  Ainsi, un castillan du XVIe siècle reste « réputé étranger » n’importe où en Aragon.

[3] Jusque là, le logement chez l’habitant avec tous les inconvénients y  afférent est la règle quasi absolue.

[4] Les Suédois de Gustave Adolphe devant peut-être plus leurs victoires à leur cohésion nationale autour de leur foi et de leur roi qu’à une réelle supériorité militaire, malgré de grandes qualités de feu et d’organisation tactique. En 1634, les tercios de Tilly et du Cardinal Infant les écrasent à Nördlingen.