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L’armée
des Flandres 1567 - 1659
Image de la puissance et
du déclin de l’Espagne
(Article publié dans « l’Art de la guerre » n°5)
« Restait
cette redoutable infanterie de l’armée d’Espagne, dont les gros bataillons
serrés, semblables à autant de tours, mais à des tours qui sauraient réparer
leurs brèches, demeuraient inébranlables au milieu de tout le reste en déroute,
et lançaient des feux de toutes parts. »
Bossuet, éloge funèbre du Grand Condé.
Tout au
long du Siècle d’or espagnol, aux grandes heures de la monarchie Catholique et
de l’excellence de ses tercios, l’Espagne entretint aux Pays Bas une
importante « Armée des Flandres ». Elle fut pendant un siècle la
garante de l’autorité et de l’influence des Habsbourg dans leurs domaines du
Nord-Ouest de l’Europe.
Bien que dangereusement dépendant de lignes de communications
aléatoires, « l’ejercito de Flandes », véritable corps
expéditionnaire permanent de la monarchie madrilène, fut un remarquable outil de guerre qui défia
pendant plus d’un siècle avec un inégal bonheur les appétits du voisin français
tout autant que les velléités d’indépendance des jeunes Provinces Unies. Cette importante présence armée de
l’Espagne dans les Flandres, symbole même du rayonnement de la monarchie des
Habsbourg et de sa dimension multinationale resta une menace pour le cœur du
royaume de France et participa un temps à l’entretien à Madrid du rêve d’empire
universel nourri par Charles Quint. Mais elle fut aussi un des révélateurs des
faiblesses de l’Espagne et des limites de son influence sur l’occident. Le
renoncement définitif de Madrid aux riches Pays Bas, fut long et douloureux. Il
obligea l’Espagne à faire le deuil de son statut de puissance dominante.
L’héritage des Habsbourg d’Espagne, une puissance dispersée
Lorsque Charles Quint abdique en 1556, l’héritage Habsbourg est scindé
entre les branches autrichiennes et ibériques. Jusqu’en 1700, les « Austrias[1] » président aux
destinées d’une monarchie centrée sur la péninsule ibérique. Si ce partage
marque la fin de l’union politique et du projet d’empire universel du plus
puissant souverain de son époque, les liens dynastiques étroits entre Vienne et
Madrid et leur solidarité de champions du catholicisme demeurent une constante
durant tout le siècle d’Or espagnol. L’endogamie pratiquée par les deux
branches Habsbourg reste un élément constitutif de la géopolitique européenne
jusqu’au catastrophique règne de Charles II, fossoyeur malheureux d’une
suprématie ibérique depuis longtemps perdue.
Mais en 1556, Philippe II hérite de la plus puissante monarchie
d’Europe, déjà championne de la foi catholique et dont la principale faiblesse
réside en un morcellement politique et géographique faisant du roi le seul lien
réellement solide entre ses états.
En effet,
alors que Charles Quint, monarque itinérant entre tous, n’avait jamais fixé sa
cour de manière définitive, son fils fait le choix de la Castille, véritable
cœur de ses états, comme centre politique de la monarchie. Il y fonde en 1561
sa capitale, Madrid, et son palais – monastère, l’Escorial, au cœur même de la
péninsule ibérique. La même année, les garnisons espagnoles quittent des Pays
Bas largement autonomes et gouvernés au nom du roi par Marguerite de Parme.
Très loin du centre politique de la monarchie, la bourgeoisie et la noblesse de
ces provinces se révèlent de plus en plus ouvertes aux tentations nationalistes
et séparatistes que l’éclatement religieux de l’Europe et l’intransigeance de
Philippe II en matière de foi rendent bientôt irrésistibles. La dispersion géographique
et « culturelle » de l’héritage « espagnol » se révèle être
ainsi la première grande faiblesse de la monarchie madrilène qui fait pourtant
à cette époque figure de véritable superpuissance européenne.
Ainsi, au
long et stérile affrontement de Charles Quint et de François Ier tant en Europe
du Nord qu’en Italie, succèdent dès la seconde moitié du XVIe siècle des
agitations séparatistes menaçant l’intégrité même de l’agglomérat hétérogène
composant les états du Roi Catholique. Dans ce cadre troublé, l’armée des
Flandres devient rapidement un outil indispensable à l’autorité des rois
d’Espagne. Elle doit ainsi intervenir parfois simultanément au nord, contre les
provinces révoltées et au sud vers le royaume de France où Alexandre Farnèse
oblige par exemple Henri IV à lever le siège de Paris en 1590. De la même
façon, l’armée des Flandres doit périodiquement soutenir les efforts des
troupes impériales dans leur interminable lutte contre les princes protestants.
Ainsi Spinola en 1620 doit intervenir dans le Palatinat avec 25000 hommes.
L’origine de l’armée des Flandres
Les Pays Bas,
jaloux de la richesse de leur commerce, de leur autonomie et de leur
spécificité, avaient dû contribuer pour des sommes considérables aux luttes de
Charles Quint contre son rival français. La révolte qui couvait éclate à partir
de 1566. La réaction de Philippe II est immédiate. Le duc d’Albe est dépêché à
Bruxelles à la tête d’une armée afin d’assurer la pacification.
Cette armée
est à l’origine organisée autour des trois tercios de Lombardie, de
Sicile et de Naples, qui s’installent à Liège, Bruxelles et Gand. Leur fidélité
à Madrid, moyennant le paiement régulier de la solde, question problématique et
récurrente, est infiniment plus sûre que celles des troupes recrutées localement.
C’est en
effet une réalité militaire mal connue de cette époque. L’emploi de troupes
éloignées de leurs foyers et en pays étranger[2],
garantissant cohésion et esprit de corps, permet de limiter considérablement les
velléités de désertion, véritable plaie des armées
« pré-nationales ». A contre courant de l’idée moderne considérant
qu’une armée assure mieux la défense de ses propres foyers, la qualité des
corps de troupes de cette époque semble augmenter à mesure de l’éloignement
géographique de leur région de recrutement. Ainsi, les troupes wallonnes ou
bourguignonnes, souvent considérées comme médiocres dans les Flandres, sont
particulièrement recherchées en Italie ou en Espagne. De même les tercios
espagnols, particulièrement soudés pour l’époque, gagnent leur réputation
d’invincibilité principalement en Flandre, en Italie ou en Allemagne. Cette
réalité est à l’origine de mouvements complexes de troupes et d’échanges de
corps entre les provinces, compliquant encore les déjà considérables problèmes
de communication et de logistique que doivent affronter les autorités
centrales.
La principale armée d’Espagne, un corps expéditionnaire permanent
Stationné en permanence aux Pays Bas dès
1567, l’ejercito de Flandes devient avant tout pour Madrid un outil
répressif contre le soulèvement des « gueux » protestants. Alors que
Madrid doit également entretenir des troupes à la fois en Italie ou au cœur de
la péninsule ibérique, cette armée reste la plus importante de la monarchie.
Mais cet
outil se révèle rapidement extrêmement coûteux. En effet, l’inflation des
effectifs militaires européens est tout au long des XVIe et XVIIe siècle
particulièrement spectaculaire (cf. tableau). Corollaire obligatoire de cet
état de fait, le coût de la guerre augmente dans des proportions jamais
atteintes jusqu’alors. L’afflux de l’argent des Amériques dans les caisses du
roi d’Espagne, assurant dans un premier temps la suprématie de la monarchie
catholique, devient rapidement une arme à double tranchant en faisant exploser
l’inflation. De fait, malgré sa puissance, la monarchie espagnole qui doit
entretenir d’importantes armées dans ses possessions dispersées fait finalement
face à des problèmes financiers endémiques inextricables menant à des
banqueroutes répétées. La rupture plus ou moins régulière de paiement de la part de Madrid, se double
dans le cas de l’armée des Flandres par des problèmes de distance et de voies
de communication majeurs, même pour les standards de cette époque. Ainsi en
1636, la prise de Corbie menace directement Paris et la famille royale. Mais,
comme après la victoire de Saint Quentin en 1557, l’Espagne reste incapable,
faute d’argent, d’exploiter sa victoire face à la jeune armée de Gaston
d’Orléans.
Protéger les voies de communication, une nécessité vitale
En ce qui
concerne les Pays Bas, la question du « camino español », la
route d’Espagne, est au cœur des préoccupations de la monarchie. La nécessité
d’opérer par mouvements périphériques en « rocade » autour du royaume
de France est à l’origine d’une lutte d’influence permanente entre les deux
rivaux, tant auprès des territoires d’Empire, en théorie subordonnés aux
Habsbourg de Vienne, qu’auprès des états italiens, monnayant à l’occasion leur
concours au prix le plus élevé. Si Madrid cherche en permanence à assurer la
continuité de ses possessions encerclant le royaume des Lys, la France tente
périodiquement quant à elle d’occuper des positions menaçant directement les
communications militaires espagnoles. Trois voies assurent successivement les
principales communications avec l’armée des Flandres (cf. carte):
- La route
initialement empruntée par les contingents d’Italie ou de Castille, par la
Savoie et la Franche-Comté est coupée au début du XVIIe siècle. En 1601, par le
traité de Lyon, Henri IV obtient de la Savoie liée à l’Espagne le Bugey, la
Bresse et le Valromey pour couper le « camino español »
originel. Cette voie n’est plus alors empruntée qu’exceptionnellement (Cordoba
en 1620 y fait transiter ses 8500 hommes).
- Dès
lors, les troupes espagnoles à
destination de Bruxelles doivent contourner les cantons suisses protestants par
le Tyrol. De même, le contrôle de l’Alsace et des trois évêchés de Lorraine, en
terre d’Empire, reste pour les même raisons un objectif constant tant pour la
France que pour l’Espagne. Là encore, cette voie de remplacement est perdue dès
1635 par l’occupation française, ne laissant aucune alternative que le
recrutement direct dans les pays rhénans. Seule l’arrivée inopinée de renforts
venus d’Allemagne (comme les tercios castillans de l’armée du Cardinal Infant,
après sa victoire sur les Suédois à Nördlingen en 1634) permet de conserver le
contrôle de la situation.
- A cette
date seule la voie maritime reste ouverte. Mais après 1588 et le désastre de
l’invincible armada, l’Espagne n’étant plus en mesure de contrôler
l’Atlantique, la faible escadre des Flandres est parfaitement incapable de
s’opposer à l’hostilité hollandaise, anglaise ou même simplement à celle des
corsaires français de La Rochelle. En fonction des conditions diplomatiques, or
et soldats empruntent irrégulièrement cette dernière artère nourricière. (20000
hommes entre 1635 et 1639).
Une situation précaire et fluctuante
Les
principales conséquences de la fragilité et de la perte progressive des voies
de communication de l’armée des Flandres sont sans conteste l’irrégularité de
l’acheminement des renforts mais aussi et surtout des fonds nécessaires au
recrutement, à l’entretien et au paiement des soldes. De plus les fonds envoyés
par Madrid, souvent insuffisants compte
tenu de la situation financière de la monarchie et de la multiplicité des
théâtres d’opérations, doivent être affectés prioritairement aux vivres plutôt
qu’au recrutement et à l’achat de matériel. Au début du XVIIe siècle, un seul
canon permet en effet l’entretien de 800 hommes pendant un mois. Malgré des
effectifs souvent importants, l’armée des Flandres est ainsi contrainte de se
contenter d’exercer des fonctions de garnison ou de mener des opérations brèves
et de faible ampleur, sans capacité à faire entrer en campagne des effectifs
importants et fiables. De plus, la menace latente exercée par les Provinces
Unies immobilise de nombreuses garnisons statiques dans les principales places
fortes telles Maastricht, Anvers, Gand
ou Bruxelles.
L’effectif
total de l’armée des Flandres varie de 15 à 20000 hommes durant les rares
périodes de paix générale (de 1609 à 1611 pour l’essentiel) jusqu’à 90000
hommes en temps de crise majeure (par exemple en 1574, en 1624 ou en 1640). En
moyenne, ses registres comprennent de 50 à 60000 soldats. Mais les armées en
campagne restent malgré tout, à l’instar des autres puissances de l’époque,
relativement réduites. En 1643, à Rocroi, bien que disposant d’un effectif nominal
de près de 80000 hommes, l’armée des Flandres n’en aligne que 20 à 25000 avec
18 canons face au duc d’Enghien. La part relative de la cavalerie est assez
faible et ne dépasse pas 20%. Ses effectifs tombent parfois à moins de 1500
cavaliers (en 1572 ou 1609). Utilisant la tactique complexe de la Caracole de
préférence à la charge, son efficacité est des plus aléatoires. Elle reste
néanmoins aussi indispensable que coûteuse sur le champs de bataille.
Le Tercio, cœur de la puissance militaire espagnole
« Et
eussiez dict que c’estoit des princes, tant ilz estoient rogues et marchoient
arrogamment et de belle grâce…Je les vis alors passant par la Lorraine, et les
y allay voir exprès en poste, tant pour leur renom qui en resonnoit partout et
retentisoit partout… »
Mémoires
de Brantôme
Professionnels rompus au métier des armes, particulièrement disciplinés
pour l’époque, fiers à l’extrême, telles sont les trois caractéristiques
majeures des soldats composant les tercios espagnols. Tout soldat, recruté individuellement,
doit prêter serment au roi et au capitaine-général de l’armée et est
rigoureusement puni pour tout manquement à la discipline : Trente jours de
prison au premier blasphème, les galères au troisième. La peine de mort est
promise à « tout soldat qui
tuera femme, enfant, personne âgée ou invalide, même dans la chaleur de
l’assaut ». Le pillage « non autorisé » est rigoureusement
proscrit.
Malgré une
discipline particulièrement sévère préfigurant déjà par certains aspects le
« dressage » à la prussienne, les soldats des tercios
jouissent de distinctions tant individuelles que collectives favorisant fierté
et esprit de corps. Aucun uniforme standard n’existe encore au niveau de
l’armée mais chaque capitaine chargé de recruter et d’organiser « sa »
compagnie impose souvent le sien. Chaque Tercio entretient également ses
propres codes. Les officiers ne peuvent lever la main sur un soldat sous peine
de destitution. Ils ne s’adressent à leurs hommes que par un « señores
soldados » (Messieurs les soldats), enviable par tous les hommes du
rang de tous les siècles. De même, les arquebusiers les plus adroits perçoivent
– ils une prime qui favorise l’émulation et l’entraînement. L’obligation de
résider en « chambrée » alors que les casernes demeurent l’exception
avant la fin du XVIIe siècle[3],
fait également naître un esprit de camaraderie bien peu répandu dans les autres
armées. On trouve également dans l’armée espagnole de nombreuses
« associations » de soutien de soldats apportant aide aux blessés ou
à leurs familles.
Au combat,
les tercios forment des carrés d’infanterie compacts et cohérents, de la
taille d’un bataillon, capable d’une remarquable efficacité dans les trois
domaines fondamentaux de la bataille : la manœuvre, le feu et le choc. Avant
le perfectionnement des armes à feu et l’invention de la baïonnette au début du
XVIIIe siècle, ces deux dernières fonctions donnent lieu à deux types de
fantassins distincts.
-
L’organisation tactique assurant la souplesse dans la manœuvre est à sa création
des plus modernes. L’infanterie du tercio « administratif »
comprend un effectif théorique variant avec le temps, de dix à quinze
compagnies de 200 à 300 hommes. Ces compagnies, unités tactiques fondamentales,
sont dans l’armée espagnole parfaitement entraînées aux évolutions groupées.
- La
puissance de choc, en attaque ou en défense, est assurée par les « piqueros »
(piquiers). Ceux ci sont équipés d’une cuirasse (Corseletes) uniquement
sur les lignes extérieures, les lignes internes s’en trouvant allégées (piqueros
secos).
- Enfin,
paramètre croissant dans l’art militaire, le feu est assuré par les
arquebusiers (arme légère) et les
mousquetaires (arme lourde) qui encadrent et couvrent les piquiers. Leur rôle
croît dans des proportions considérables, en particulier grâce à l’allégement
du mousquet, qui allie de plus en plus à sa puissance de feu, maniabilité et
une meilleure précision. Tout au long du XVIe siècle, celui-ci prend une place
croissante à mesure de l’effacement de l’arquebuse de médiocre portée. Présents
dans une proportion de l’ordre de un sur dix pendant les guerres d’Italie, les
tireurs représentent 50 à 60% des effectifs au milieu du XVIIe siècle.
Cette
efficacité dans l’organisation tactique, le professionnalisme des soldats et leur
moral inégalable en font de très loin les meilleures troupes d’Europe. La
réputation des tercios ne souffre jusqu’à Rocroi aucune ambiguïté.
Mais ces
troupes espagnoles ou italiennes, solides et cohérentes, ne forment pas, loin
s’en faut, la totalité des effectifs de l’armée des Flandres.
L’armée d’une monarchie multinationale
Plus encore que les autres armées de cette période, l’armée des
Flandres présente un caractère éminemment multinational. Si l’emploi de
mercenaires suisses ou de lansquenets allemands est une constante dans les
armées européennes au point qu’ils forment au XVIe siècle la majorité des
troupes du roi de France, le système militaire espagnol, largement en avance
jusqu’aux années 1620 – 1630, fait appel aux ressources diversifiées des états
du roi catholique pour former ses armées autour de noyaux
« nationaux » pour l’essentiel castillans.
Ainsi l’épine dorsale de l’armée des Flandres réside t-elle
sans conteste dans ses tercios castillans et ses contingents italiens.
Si les premiers jouissent d’une réputation sans équivalent et de privilèges
réels ou supposés propres aux hidalgos espagnols, les seconds recrutés à Naples
ou en Lombardie sont à peine moins considérés. En période de licenciement
massif de troupes comme au début de la trêve de Douze Ans avec la Hollande,
Italiens et Espagnols demeurent le
noyau dur permanent de l’armée des Flandres.
Cette élite assez peu nombreuse (4000 Italiens et 6 à 8000
Espagnols en moyenne) est complétée par divers contingents étrangers, en nombre
variable en fonction des conditions stratégiques générales.
Les
Britanniques, peu nombreux et méprisés car Protestants, sont néanmoins une
ressource complémentaire appréciée en temps de « disette » de par
leur proximité géographique. Recrutés seulement après 1588, on en dénombre 3900
en 1624. 4000 sont recrutés par contrat entre 1630 et 1640 mais les tensions
anglo-espagnole et la guerre civile anglaise finissent par tarir cette faible
source.
Les Bourguignons, en fait Franc-Comtois, forment des auxiliaires
diversement appréciés. Au nombre d’environ 4000 vers 1625, l’occupation
française rend difficile ce recrutement.
Les
Allemands, catholiques du Tyrol ou des pays Rhénans, sont considérés comme peu
fiables mais leur proximité géographique et la facilité de leur acheminement
vers les Pays Bas en font une ressource incontournable à mesure de l’isolement
de l’armée des Flandres. Contingents mercenaires nombreux en temps de crise
(plus de 20000 dans les années 1570 ou 1620), ils sont massivement licenciés en
période de paix.
Enfin, la ressource locale wallonne a pour fonction essentielle
le gonflement des effectifs (plus de 35000 hommes en 1640). Elle est en effet
la moins considérée sous ses propres cieux. Peu voire non payées dans le cas
des levées de milice, promptes à la désertion, ces troupes servent d’abord de
garnisons statiques et ont comme principal mérite pour le commandement de
libérer les meilleurs contingents pour les armées de campagnes.
Les derniers feux de l’armée des Flandres
« …il eût encore volontiers sauvé la vie au brave comte de
Fontaines ! mais il se trouva par terre parmi des milliers de morts dont
l’Espagne sent encore la perte. Elle ne savait pas que le prince qui lui fit
perdre tant de ses vieux régiments à la journée de Rocroi en devait achever les
restes dans les plaines de Lens. »
Bossuet
Connaissant successivement les victoires et les revers, l’armée des
Flandres reste tout à la fois le pivot de la puissance militaire espagnole tout
autant qu’une réelle menace pour les adversaires du roi Catholique jusqu’au
milieu du XVIIe siècle. Bien qu’obligée de concéder à la Hollande une
indépendance de fait lors de la trêve de 1609 et de composer avec une France en
pleine ascension, l’Espagne reprend la lutte en 1621 et connaît encore un temps de réels mais éphémères succès.
La prise de Breda par Spinola en 1625, immortalisée par Vélasquez, est sans
lendemain. L’offensive des Hollandais qui reprennent Maastricht n’est arrêtée
que grâce à l’arrivée fort à propos de l’armée victorieuse du Cardinal Infant
en 1634. Les débuts de la guerre contre la France sont prometteurs mais faute
de moyens Paris ne peut être prise. Argent et renforts n’arrivent
qu’épisodiquement en suffisance et le recrutement local reste de moindre
qualité.
Le tournant des années 1640 amorce le réel déclin. La Catalogne
se révolte. Le Portugal se déclare indépendant et bat régulièrement les troupes
de Madrid dans une guerre frontalière au cœur même de la péninsule ibérique. Le
Tercio perd sa suprématie à Rocroi, l’épouvantable guerre de Trente Ans dure au
cœur du Saint Empire et malgré leurs qualités, ni le comte-duc d’Olivares, ni
son successeur Don Luis de Haro ne peuvent apporter au roi Philippe IV l’étoffe
politique de ses aïeux.
Malgré tout,
le règlement de la guerre de Trente Ans de 1648, bien qu’humiliant pour Madrid,
permet à un roi d’Espagne entêté de disputer une dernière fois à son rival
français le statut de première monarchie européenne. Malgré les défaites
espagnoles de Rocroi puis de Lens en 1648, la fronde paraît en effet rendre le
royaume des Lys à nouveau vulnérable. Mazarin obligé bientôt d’abandonner la
Catalogne révoltée à Espagne, les Pays Bas espagnols redeviennent rapidement le
principal théâtre des hostilités. Le plus grand capitaine français, Louis II de
Bourbon, prince de Condé, se révolte contre le roi et se tourne vers
Madrid. A la tête de l’armée des
Flandres aux côtés de Don Juan José, le
vainqueur de Rocroi et de Lens cherche à marcher sur Paris. Mais malgré la
présence de ces deux brillants hommes de guerre, la supériorité du Tercio
n’existe décidément plus. Les restes de l’armée des Flandres sont battus par un
Turenne fraîchement rallié au jeune Louis XIV à Arras, puis à nouveau écrasés à
Dunkerque en 1658. Philippe IV, pressé par une situation interne
catastrophique, est obligé d’admettre son échec.
Le crépuscule de la puissance espagnole
L’armée des Flandres qui assure la domination de l’Espagne aux
Pays Bas reste le bras armé de son influence tout autant que le symbole de sa vocation
transnationale durant tout le siècle d’Or. Elle est dirigée successivement par
certains des plus grands capitaines de leur temps tels le duc d’Albe,
Alexandre Farnèse, Spinola ou Don Juan José. Les actions menées par ces
chefs brillants suivent les changements profonds des équilibres européens qui
s’opèrent entre le milieu du XVIe et le milieu du XVIIe siècle : la
rupture de l’unité occidentale par l’affrontement sanglant entre Réforme et
Contre Réforme, le déclin de la conception du monde universaliste des
Habsbourg, les tentations nationalistes naissantes. De même l’émergence ou la
renaissance de puissances rivales, Suède, Hollande, Angleterre, France surtout,
ne peut être enrayée par une Espagne peu à peu ruinée par ses tensions internes
et paradoxalement, par cet afflux d’argent des Amériques pourtant à l’origine
de sa position dominante.
Si le Tercio espagnol domine les champs de bataille
jusqu’à la guerre de Trente Ans[4],
de nouvelles conceptions tactiques et l’exploitation des points faibles des
armées espagnoles, tel le différentiel qualitatif entre les contingents,
permettent finalement de le vaincre. Rocroi marque ainsi pour l’histoire
militaire une véritable étape. Tout anachronisme mis à part, cette bataille
peut-être comparée à Essling (1809) ou Gettysburg (1863). Sans marquer en effet
une défaite définitive, elle illustre la fin d’un ascendant moral et tactique.
Bien qu’encore capable de lutter, l’Espagne y perd définitivement la réputation
d’invincibilité de la meilleure infanterie d’Europe.
Lorsque que
par le traité des Pyrénées, Madrid renonce définitivement à ses ambitions, au
siècle d’Or espagnol du Tercio mais aussi de Cervantès, de Vélasquez de Lope de
Véga et de Calderon, succède bientôt le Grand siècle français, celui de Louis
XIV, tout autant porteur de nouvelles guerres.
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[1] Ainsi est qualifiée en Espagne la dynastie des Habsbourg, illustration de la prédominance de leur origine autrichienne dans les consciences.
[2] Rappelons que l’unité monarchique de cette époque est bien loin de signifier unité nationale, tout particulièrement dans les états de la monarchie ibérique. Ainsi, un castillan du XVIe siècle reste « réputé étranger » n’importe où en Aragon.
[3] Jusque là, le logement chez l’habitant avec tous les inconvénients y afférent est la règle quasi absolue.
[4] Les Suédois de Gustave Adolphe devant peut-être plus leurs victoires à leur cohésion nationale autour de leur foi et de leur roi qu’à une réelle supériorité militaire, malgré de grandes qualités de feu et d’organisation tactique. En 1634, les tercios de Tilly et du Cardinal Infant les écrasent à Nördlingen.